Imperceptiblement, votre vitesse de lecture va se réduire. Et vous allez goûter les mots comme on regarde un paysage, ou comme on observe un petit animal sauvage.
La narratrice raconte la jeunesse de sa grand-mère, en Sardaigne, pendant et après la guerre. La jeune sarde est atteinte du mal de pierre, plus vulgairement connu sous le nom de calculs aux reins. Mais à vrai dire, ce n’est pas cela qui la fait souffrir. Non. Son tourment, c’est l’amour, qui ne vient pas.
Le dimanche, quand les autres filles allaient à la messe ou se promenaient sur la grand-route au bras de leur fiancés, grand-mère relevait en chignon ses cheveux et elle se rendait à l’église demander à Dieu pourquoi, pourquoi il poussait l’injustice jusqu’à lui refuser de connaître l’amour, qui est la chose la plus belle. En confession, le prêtre disait que ces pensées constituaient un grave péché et que le monde offrait bien d’autres choses, mais pour grand-mère elles étaient sans intérêt. »
Cette incapacité à faire alliance irrite superbement sa mère, qui la tient pour folle, surtout qu’elle écrit à ses prétendants éphémères des poèmes enflammés qui ne sont pas du tout à son goût. Du coup, notre jeune sarde est mariée sans son consentement, avec un veuf, qu’elle n’aime pas. D’ailleurs elle le lui a dit.
Mais lors de son premier séjour sur le continent, pour soigner son maudit mal de pierre, elle rencontre le Rescapé, un homme mutilé par la guerre, qui sait lui parler, qui a le pouvoir de l’aimer.
Le Rescapé dit qu’à son avis elle n’était pas folle, simplement elle était une créature que Dieu avait faite à un moment où Il n’avait pas envie des femmes habituelles en série, Il avait eu une inspiration poétique et Il l’avait créée, grand-mère riait de bon cœur, disait qu’il était fou aussi et que c’était pour ça qu’il ne voyait pas la folie des autres. »
Puis vient le moment de la séparation, le retour de notre belle éplorée à Cagliari. Je m’arrête ici. A travers les paysages de Sardaigne, à travers cette Italie du Sud que le Nord méprise, dirigez vous le plus lentement possible vers la fin, et goûtez cette prose naïve et soyeuse.
Et méditez ceci :
Car au fond, en amour, il s’agit peut-être au bout du compte de se fier à la magie, on ne peut pas dire qu’on puisse trouver une règle, quelque chose à suivre pour que tout se passe bien. »
Mal de Pierres, Milena Agus, traduit de l'italien par Dominique Vittoz, Liana Levi, 124 pages, 13 euros.
Du même auteur : Battement d'ailes
A lire également sur le Blog des livres : Voyage au pays de Milena Agus
Critiques, avis et analyses
J'aime bien aussi découvrir ici quelque chose de vraiment neuf. J'avais aperçu ce livre en librairie sans m'y attarder mais là j'ai eu envie d'aller plus loin. La preuve: j'ai déniché sur le net le titre italien original, Mal di pietre, et aussi le "vrai"en sarde: mali de is perdas ;-)!
Et so lisait ce livre court sans courir ? En profiter pour le lire lentement, le slow reading ("letturalenta") est très à la mode justement.. en Italie. letturalenta.net/2005/11/...
J'en ai beaucoup entendu parler sur la blogosphère mais ce que je viens de lire ici m'a conquis. Merci beaucoup.
J'ai l'impression d'un petit morceau d'éternité: Milena Agus réussit à nous faire traverser trois générations, une guerre et plus en quelques dizaines de pages. En quelques mots simples, par petites touches (très touchantes...), elle nous plonge dans un village, une maison, une famille, les finesses de l'amour. Je trouve que c'est une écriture humble et magique. Et j'adore la couverture (je crois que je l'ai aussi acheté pour ça... et à cause de ta critique, bien sûr), à l'image du livre: modeste, mystérieuse et belle. Quel beau titre aussi!
moi aussi j'ai beaucoup aimé ce livre, et j'y suis venue au fil des critiques de presse et de blogs qui ne cesssent de l'ensencer. Et ils ont raison. c'est un texte court, ramassé sur lui même, condensé et pourtant juste et qu'on sent au plus proche du "vrai", traduction des confidences d'une grand mère par sa petite fille, qui nous offre une jolie surprise à la dernière page et fait éclater ces quelques pages en mille et une possibilités, mille et un conte dont le sujet serait : s'approcher de l'essentiel d'une vie, c'est un exercice perilleux.
J'ai attrapé moi aussi le "Mal de pierres". Pas la version médicale fort heureusement, mais celle littéraire. J'ai bien aimé cette histoire. J'ai eu un peu de mal à me situer les personnages au tout début et puis après cela a été. Un sacré personnage que cette grand-mère !!! Et la relation entre les deux grands-parants, c'est quelque chose aussi ;-) Bref que des personnages forts et attachants.
Merci beaucoup Bernard pour cette belle découverte.
J'ai enfin lu "Mal de Pierres".Je l'ai lu finalement assez vite, en un après-midi, en ne le reposant que deux-trois fois, un peu en retenant mon souffle J'avais totalement oublié cette letturalenta que nous avions évoquée ici d'ailleurs..;-)! C'est vraiment un livre original, sincère, écrit avec le coeur, ce qui n'exclut pas savoir-faire, imagination et presque ..rouerie pour le retournement final! Moi, je n'ai pas eu d'impression de densité, au contraire je l'ai trouvé plutôt construit à la diable, délicieusement lâche comme un tricot sens dessus-dessous. Aéré comme une maison où porte battante et fenêtre sans huis laisseraient courir l'air, la traversant en un vent de folie. J'ai trouvé au début son intrigue un peu convenue, midinette fleur-bleue et au fil des pages il s'est révélé plutôt osé ;-)! C'est vraiment un sacré petit livre ce Mal de Pierres! Un livre faussement simplement, assez exceptionnel:extra-ordinaire au sens propre..Ce sera une gageure pour Milena Agus de ne pas faiblir dans ses prochains, la barre est vraiment haut!
et bien moi je l'ai trouvé super chiant ce bouquin !
Une histoire de famille révélée au fil des pages...un amour...une autre vie...un ailleurs mais attention..les personnages sont vraiment attachants et l'histoire n'est vraiment pas si "téléphonée" qu'elle en a l'air.
Un beau roman à découvrir pour un court moment de poésie et de surprise.
Quelqu'un pourrait m'expliquer la fin car je n'ai pas tout compris.
Merci.
Interessant tous ces commentaires, ils éclairent le livre... personellement je n'ai pas vraiment aimé ce livre (cf mon blog) mais en lisant les commentaires, je me demande si je ne suis pas passée à coté de quelque chose finalement... peut être je pourrais le relire ? mais j'ai d'autres lectures en cours... alors ce sera pour plus tard !
j'ai beaucoup aimé le livre; mais pourquoi avoir ajouté ce dernier chapitre qui renverse tout et détruit la magie?
Une merveille de la littérature italienne contemporaine!!!!!!!!!!!!!!!
Une écriture très malicieuse je trouve Marie. Une façon géniale d'exprimer des choses "plutôt osées" avec un ton quasi "midinette fleur bleue" - délicieusement surprenant, j'adore!
J'ai bien aimé ce livre, mais sûrement pas à sa juste valeur. Car lorsque je l'ai lu, je sortais de la lecture du "Coeur Cousu" de Carole Martinez. Et en comparaison, celui-ci m'avait parût un peu fade.
Je me disais que c'était un peu injuste et qu'il faudrait que je relise "Le mal de pierre" un jour, pour y remédier. Votre article m'a réellement donné envie de le faire.