On entend beaucoup parler de ce qu’il y a autour du dernier roman de Michel Houellebecq. Mais on entend peu parler de ce qu’il y a dedans. Et qu’y a-t-il, dans ce Goncourt 2010 ? Pas grand chose, en somme.
Une vague intrigue, l’un ou l’autre gadget, et quelques froides considérations sur notre époque.
Jed Martin est artiste. Il débute sa carrière de manière originale, en réalisant des portraits photographiques de cartes Michelin. Il se réoriente ensuite vers la peinture, en couchant sur la toile des moments historiques de la vie économique. Des pièces telles que « Bill Gates et Steve Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », lui feront à jamais oublier le dénuement de ses débuts.
Au moment où cette histoire se fatigue, Houellebecq y greffe un crime de sang et une intrigue policière, sans grand lien avec ce qui précède, ni sans grand intérêt.
Ce roman n’est pas ennuyeux pour autant. Parce qu’il y a des gadgets. Les gadgets, c’est l’usage original de l’italique, les descriptions détaillées et incongrues de la vie des bichons ou des asticots et surtout, ces petits moments où Houellebecq se met en scène, lui, et d’autres personnalités, comme Julien Lepers.
Les gens se reconnaissaient en Julien Lepers, les élèves de première année de Polytechnique comme les institutrices à la retraite du Pas-De-Calais, les bikers du Limousin comme les restaurateurs du Var, il n’était ni impressionnant ni lointain, il se dégageait de lui une image moyenne et presque sympathique, de la France des années 2010. »
Ce qui fait aussi l’intérêt de ce roman, ce sont ces descriptions crues et désabusées du monde d’aujourd’hui. Elle sont souvent provocatrices.
Lui non plus n’aimait pas les enfants s’il voulait bien y réfléchir, il n’aimait pas leur égoïsme naturel et systématique, leur méconnaissance originelle de la loi, leur immoralité foncière qui obligeait à une éducation épuisante et presque toujours infructueuse. »
Et parfois un peu plus sensées.
Au milieu de l’effondrement physique généralisé à quoi se résume la vieillesse, la voix et le regard apportent le témoignage douloureusement irrécusable de la persistance de caractère, des aspirations des désirs, de tout ce qui constitue une personnalité humaine. »
Calmons-nous : « La carte et le territoire » n’est pas un grand roman. Parce que l’écriture est relâchée, l’intrigue indigente, et parce que le mélange d’une histoire, de gadgets et de considérations sur notre temps manquent totalement de lien entre eux.
Mais on passe, malgré tout, un bon moment. On rit (jaune). Et on se prend même à réfléchir un peu. Non pas sur les thèmes abordés par Houellebecq, mais plutôt sur le succès d’un propos aussi désabusé. Pourquoi des sentences aussi sombres, n’inspirent-elles pas davantage de rejet ? Parce qu’elles flirtent avec la limite, sans doute, sans la franchir. Ou alors parce qu’André Gide avait raison quand il disait :
On ne fait pas de littérature avec de bons sentiments. »
La carte et le territoire, Michel Houellebecq, Flammarion, 428 pages, 22 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.
C’est une opinion qui se défend, en effet, cher A. Elle m’a effleuré, mais je ne ressens hélas, pas l’enthousiasme débordant, le souffle, et la créativité qui me permettraient de qualifier ce roman d’œuvre majeure. Mais c’est une question de point de vue, bien sûr !
Merci de m’éviter cette lecture, Bernard…De toutes façons, après avoir abandonné « Plateforme » au bout d’une centaine de pages, je n’étais pas décidée à renouveler l’expérience! Le glauque et la provoc, ce n’est plus de mon âge…. Et comme je ne suis pas en manque de tîtres, je me passerai de celui-là!
Je ne pense pas que ce soit une question d’âge, Pomme, de sensibilité, je dirais plutôt… Et je partage souvent les tiennes…
Ce prix Goncourt a bien failli me faire racheter un Houellebecq alors qu’après « Les particules élémentaires » et « Plateforme » j’avais juré qu’on ne m’y reprendrait plus… Donc merci beaucoup Bernard pour ton commentaire! Moi la provoc’ pour la provoc’ ça ne m’intéresse pas vraiment… Donc je passe mon tour et je ne lirai pas le Goncourt cette année!!!
Et bien, finalement, j’ai lu….Et je ne comprends pas cet engouement! On peut sourire quelquefois, mais aussi s’ennuyer à certains paragraphes parfaitement encyclopédiques, et je n’ai pas trouvé l’écriture particulièrement remarquable, quoique certains en disent….Mais je suis quand même allée jusqu’au bout, ce qui ne m’était pas arrivé avec « plateforme ».
Entièrement de ton avis, Pomme. Un roman intéressant, mais certainement pas un chef d’œuvre. Je suis sûr qu’il y avait de meilleurs romans susceptibles d’obtenir le Goncourt. Pour des raisons strictement littéraires, je veux dire, et non médiatiques ou mondaines.
Comme Bernard, je me suis interrogé sur le mérite d’un Goncourt, mais il aura eu l’avantage de m’inciter à le lire et cette fois ci, jusqu’au bout !
Aussi de découvrir peut être le vrai Houellebecq ? Un autoportrait assez humble et désabusé. Pas de passage provocants, pas désagréable à lire. En fait le critiquer sans l’avoir lu, me semble abusif…
« Un autoportrait assez humble et désabusé ». Je suis d’accord avec toi, Gérard, il y a de ça, dans ce roman. J’y ai quand même vu des passages d’un cynisme un peu gratuit, que j’assimilerais plutôt à de la provocation.
Bonjour,
Je ne vois pas en quoi une description froide, crue et provocatrice ne pourrait pas être censée.
Je dirais dans ce cas-ci qu’elles sont froides, crues et en plus pas sensées… Mais cela n’engage que moi…
Un Goncourt avec des erreurs “techniques” est-ce grave ?
Autrement dit, avec l’épisode Hemingway-PPDA l’édition française ne montre-t-elle pas son incurie ?
Deux courts exemples dans La Carte et le territoire :
*P. 235 : “La force tranquille”, slogan de Séguéla “qui avait permis contre toute attente, la réélection de François Mitterrand en 1988″.
Faux c’est un slogan de 1981, l’erreur est grossière au point qu’on se demande si les épreuves sont relues.
*P. 414 “un autre encore plus bref dans les monts du Rodez”.
Monts qui n’existent pas, confondus sans doute avec ceux du Forez…
Houellebecq personnage du roman montre son attachement à son éditrice sous vrai nom, Houellebecq écrivain n’est pas ingrat !
Je partage votre jugement, bien que j’aie passé quelques bons moments de lecture avec Houellebecq. Dans celui-là, je me suis quand même amusée pendant certains passages (la fête avec les pontes de TF1 par exemple). Mais ce roman n’arrive pas à la cheville de La Possibilité d’une île. Le fait qu’il ait obtenu le Goncourt montre juste (ça n’engage que moi, c’est une impression que j’ai) que son attachée de presse a bien bossé.
Ca me désole un peu, quand je pense que pas grand monde a lu Après L’enfance de Julie Douard, premier roman extraordinaire.
Oui, c’est vrai, il ne faut pas bouder son plaisir : il y a des moments hilarants dans ce roman. Mais l’attribution du Goncourt me paraît relever d’un réflexe de salon, plus que d’un enthousiasme littéraire. Mais bon, cela ne nous empêche pas de lire autre chose, n’est-ce pas, Sophie 🙂
Roman etonnant, biographique/policier, tres bon demarrage, super intrigue mais denouement plutot laborieux
Roman étonnant certes mais qui s’étiole au fur et à mesure des pages. Après un bon début, on saute un peu du coq à l’âne et on a l’impression que Houellebecq était cruellement d’inspiration lorsqu’il a mis fin à la carrière de peintre de Jed Martin. Seul intérêt de cet ouvrage, la description au vitriol de Houellebecq par lui même. Mais un prix Congourt pour ça, c’est plus que généreux.
Elfine et Laurent, je partage entièrement vos avis, tant sur la fin qui s’étiole, que sur le prix, qui me laisse vraiment perplexe, même après quelques mois de recul…
Je ne suis généralement que très peu en accord avec vos commentaires. Si ce roman était réellement comme vous semblez le peindre, je serais plutôt de votre avis.
Il me semble que Houellebecq nous propose une réflexion profonde sur la nature de l’art à travers les créations de ce si mystérieux Jed Martin, ainsi que par ses conversations avec son père ou avec Houellebecq (qui sont davantage des monologues il faut bien se de le dire, et pourquoi d’ailleurs). Plus généralement, le rôle et la place social et politique de l’artiste (par le fait même, de l’écrivain), son rapport au carburant social qu’est l’économie de marché, la raison de l’intérêt de Houellebecq pour l’oeuvre de Tocqueville.
Et quant à ce saut du coq à l’âne, il est peut-être simplement volontaire, et même structurellement nécessaire afin que l’auteur révèle justement ses intentions. Si le propos n’est pas clair, ce n’est probablement pas parce que Houellebecq ne sait pas ce qu’il veut, mais bien, peut-être, parce qu’il révèle seulement ses intentions au lecteur attentif et soucieux de le saisir, c’est-à-dire au lecteur qui ne restreint pas sa lecture à une analyse de surface, pour le dire abruptement.
«On peut toujours, lui avait dit Houellebecq lorsqu’il avait évoqué sa carrière romanesque, prendre des notes, essayer d’aligner des phrases; mais pour se lancer dans l’écriture d’un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l’apparition d’un authentique noyau de nécessité». p. 254
Quel est donc ce noyau de nécessité?
Mon commentaire n’est peut-être qu’une vaine intuition, à vous de me le faire comprendre si tel est le cas, mais le sérieux et l’intelligence de l’auteur transpire de ce roman, ce que j’avance n’est donc peut-être pas à négliger.
Bonjour et merci à Sophie pour son conseil qui m’a permis de découvrir « Après l’enfance » de Julie Douard. J’ai adoré.
D’accord avec Sophie pour sa dernière remarque.
Ce livre est franchement moins bon (à mon avis, très subjectif) que « Les particules élémentaires » ou même « Extension du domaine de la lutte ». On a même l’impression qu’il a eu du mal à le finir et à dû recourir à quelques astuces.
J’ai essayé de lire. 50 pages puis survolé la fin. À mon avis ennuyeux. Écriture peu intéressante, banale. La réflexion sur l’art? Généralités, clichés et formules pompeuses plutôt creuses, pour ce que j’en ai lu.
Puisque Houellebecq est sur le point de publier un nouveau roman dans lequel il imagine une France islamisée d’ici qqs années, je recommande un autre roman passé inaperçu jusqu’ici, plus réaliste puisqu’il situe en 2090 la « reconquête » du sud de l’Europe par les « Sarrazins ».
Le blog du roman « L’Esclave » de Michel Herland :
https://herlandlesclave.wordpress.c…