C’est un peu comme un de ces films qui commencent au lendemain d’une catastrophe nucléaire. Le silence règne et le spectateur attend que les dégâts apparaissent à l’écran.
« Chaos calme » débute lui aussi juste après un drame. Un drame humain.
Pietro Paladini, cadre talentueux de 43 ans, perd sa femme.
Lara est là au centre de la scène, entre le médecin et les brancardiers, allongée par terre près d’une civière scintillante et inutile belle, bronzée et immobile dans une pose désarticulée qui n’a rien de naturel. »
Il se retrouve seul avec sa petite fille de 6 ans, Claudia. Il s’attend à ce qu’une souffrance insupportable le prenne à la gorge. Mais il ne se passe rien.
Ni pour lui.
C’est un calme chaos, ce qui m’habite. Un calme chaos. »
Ni pour sa fille.
On pourrait comprendre que maintenant tu relèves lentement la tête que tu me regardes avec des yeux rouges comme dans l’exorciste, que tu vomisses en gerbe sur ma veste. Mais non, pas du tout: Claudia descend de voiture, sage, docile, et me suit en trottinant. »
Pour Pietro, la vie ne continue pas pour autant comme avant. Pour soutenir sa « petite fleur », presque par défi, presque par jeu, il décide de passer une journée devant l’école, dans sa voiture. Il y reste le lendemain, le surlendemain, puis les jours défilent, sans qu’il mette fin à cette nouvelle occupation.
A son grand étonnement, ses supérieurs tolèrent son choix. Il constate aussi avec stupéfaction que des amis, collègues, et passants viennent près de lui, déverser leurs souffrances. Stress au travail, rivalités entre cadres, problèmes de couples, solitudes, rien ne lui est épargné. Mais rien non plus ne perturbe son calme chaos.
« Chaos calme » est une belle réussite. L’idée de ce roman est originale, humaine, et permet subtilement à l’auteur de conter 1001 histoires avec humour et tendresse. Il en profite aussi pour dire les petites et grandes indignations d’un quadra du monde développé…
Ce n’est pas normal d’aller au McDo et de découvrir que le menu hamburger + frites + boisson est moins cher que le hamburger et boissons seuls, sans les frites – c’est-à-dire qu’on prend les frites, on les jette direct à la poubelle et on dépense un euro cinquante de moins. »
… et nous révéler la façon romaine de manger des spaghettis.
Il attaque ses spaghettis bille en tête, à croire que son temps est compté. Il ne les enroule pas, ils les fourre dans sa bouche comme si c’était du foin, et avec sa fourchette, il se contente de les accompagner au fur et à mesure qu’ils montent. Ca, c’est romain : une saine façon de manger populaire qu’ici à Milan on prend pour une absence de bonnes manières. »
Mais ne vous y trompez surtout pas : comme en témoigne un final très raffiné, ce roman est d’une grande profondeur.
Il dit à merveille que la souffrance qui se tait n’est pas la moins pénible, et que le plus fort n’est pas toujours celui qu’on croit…
Chaos calme, Sandro Veronesi, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, Grasset, 512 pages, 22 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.
J’ai adoré le roman. Quelqu’un a vu l’adaptation cinéma de Moretti? J’aime beaucoup la façon dont le narrateur essaie de faire le deuil ainsi que le parallèle entre ce qu’il vit et certaines chansons de Radiohead. D’accord avec Bernard, c’est plus profond qu’il n’y paraît. C’est surtout extrêmement touchant et on ne peut qu’avoir de l’empathie pour le personnage principal.
Mais te revoilà ! Quelle bonne nouvelle !! 😉
Et oui, Laurence, pas un jour sans que je n’y aie songé, puis un matin, j’ai retrouvé le temps. J’espère à présent tenir sur la longueur et avoir ta régularité ! A bientôt 🙂
je n’ai pas lu le livre, seulement vu le film, avec beaucoup d’émotion. Le DVD comportait une itv très intéressante du réalisateur qui expliquait la façon dont il a transposé le roman (l’action du film se situe dans un parc et moins dans la voiture), en collaboration avec le romancier. Nanni Moretti et la petite fille sont parfaits. Et bon sang, que les acteurs italiens sont beaux 🙂 (oups, pardon, ça m’a échappé !)
Je me demandais justement, Anne, comment il était possible de transposer avec succès à l’écran quelque chose d’aussi intérieur qu’une souffrance qui n’arrive pas… Mais apparemment, c’est réussi !
Machinalement,avec nostalgie, je tape de temps en temps sur ce qui était MON blog…et ce soir, ô merveille, Bernard est revenu….Alors, remettons-nous au boulot!
MERCI
Héhéé!!! Content, pour ne pas dire ému, de te savoir toujours dans les parages… Cela ne se voit qu’à quelques détails, mais j’ai modernisé cet endroit (un mois de travail !) et me suis évidemment remis à lire. Martin, Marie et Anne-Catherine font de même. On a donc de quoi s’amuser ! A très bientôt et merci d’être (encore) là !!!
Après les premières pages où l’on a du mal à retrouver son souffle ( comme le narrateur d’ailleurs!), un calme extérieur s’affiche où viennent se déposer tous les chaos du voisinage….Et je crois que c’est ce qui m’a le plus frappée…C’est bien mené jusqu’au bout, et la chute est inattendue…Au film, maintenant…Ce sera intéressant de voir comment on peut transcrire cette intériorité…l’attente de cette « bombe »…
Entièrement d’accord, Pomme, joli contraste entre le début haletant et la suite. En fait, je ne l’avais même pas remarqué… Et la fin est d’une classe… milanaise !
Je viens de voir le film….Bon, même si les acteurs sont excellents ( et beaux,c’est vrai…), même si pour la plupart du temps ça colle au livre…et bien non! après la lecture du livre, ça passe mal. Tout ce qui est action ( ou non-action..) extérieure est bien rendu. Mais pour ce qui est du chaos intérieur, cette incompréhension de non-souffrance, cette lutte interne, finalement, ça ne pouvait pas passer…A voir, si on n’a pas lu le livre. Mais si on va sur ce blog, c’est justament parce qu’on l’a lu….
Et bien j’en suis… ravi ! Le contraire aurait signifié que même les tourments intérieurs pouvaient apparaître à l’écran aussi bien que dans les livres… Alors à quoi serviraient encore ces derniers ?