Disons-le tout net : le dernier Goncourt n’est pas loin d’être illisible.
Et pourtant je l’ai lu.
Mais ce fut un vrai combat.
Alexis Jenni raconte la guerre de 20 ans, ce conflit interminable qu’ont vécu tant de Français de près ou de loin, et qui commence avec la seconde guerre mondiale, se poursuit avec l’Indochine, et se termine en Algérie.
Le début est flou : vers 40 ou 42, on peut hésiter. Mais la fin est nette : 62, pas une année de plus. Et aussitôt on a feint que rien ne se soit passé. »
L’auteur prête vie à Victorien Salagnon, entré en guerre un peu par hasard à la fin de son adolescence.
La classe stupéfaite écoutait en silence. Puis un élève, bouche béante, sans penser à demander la parole, bredouilla plaintif :
« Mais nos études ?
– Ceux qui reviendront pourront les poursuivre.
Il commence sa guerre de 20 ans dans le maquis, à la fin du deuxième conflit mondial.
Puis s’enlise avec la France en Indochine.
L’Indochine où j’ai vécu était un musée des façons d’en finir : on mourait d’une balle dans la tête, d’une rafale à travers le corps d’une jambe arrachée par une mine, d’un éclat d’obus qui faisait une estafilade par où l’on se vidait. J’ai juste échappé à tout ; je suis là. »
Et vit l’horreur de l’Algérie sans comprendre.
Tout cela n’avait servi rien. Le sang n’avait servi à rien. On n’apprend pas impunément la liberté, l’égalité et la fraternité à des gens à qui on les refuse. »
Il se battra sans conviction, avec distance, même. Pour éviter de trop s’impliquer, il dessine.
J’étais moins bon militaire, mais je sauvais mon âme. »
L’auteur alterne ces récits de guerre avec une description de la banlieue lyonnaise, où les policiers sont toujours plus présents et armés. Sa thèse : la guerre de 20 ans se poursuit dans les banlieues.
Les nuits d’été sont lourdes et dangereuses et les rues du centre sont quadrillées. Au pays de la douceur de vivre et de la conversation comme l’un des beaux-arts, nous ne voulons plus vivre ensemble. »
« L’art français de la guerre » a de l’ambition. Alexis Jenni se fait historien, stratège, sociologue, psychologue, moraliste et, évidemment, auteur. Tout cela à la fois. En ressort un roman très instructif, certes, mais aussi très dense et foisonnant de détails.
Mais il présente surtout une difficulté qui, je le crains, rebutera la plupart : l’écriture est d’une lourdeur indicible. Des phrases longues, des constructions complexes sur lesquelles ont trébuche, des dialogues si littéraires qu’ils en deviennent improbables, parfois grotesques.
C’est d’autant plus regrettable qu’Alexis Jenni a des choses à dire. L’auteur a du talent, c’est sûr, et on aurait presque envie de lui appliquer en conclusion une de ses propres citations.
Pour se transformer en art, le talent doit prendre conscience de lui-même, et de ses limites, et être aimanté d’un but qui l’oriente dans une direction indiscutable. Sinon, le talent s’agite, il bavarde. »
L’art français de la guerre, Alexis Jenni, Gallimard, littérature française, 633 pages, 21 euros. Notre note : 2/5.
Merci Bernard pour ta franchise et les arguments que tu donnes. Ce n’est pas gratuit et… euh je ne le lirai pas !
Quand la lecture devient laborieuse, le plaisir en souffre. Tu as eu bien du courage de le lire jusqu’au bout. Porté peut-être par l’envie de pouvoir nous donner ton avis ?
C’est à se demander ce qui justifie un Goncourt ? L’âpreté de l’écriture au détriment de l’histoire suffit-elle à légitimer le prix ? Faut-il à tout prix récompenser le fond même si la forme décourage les lecteurs les plus aguerris ?
Merci Eva, je te laisse seule juge !
Merci de ton commentaire, Claire. Je l’ai lu parce que j’apprenais des choses, mais je préfère apprendre en m’amusant qu’apprendre en déchiffrant une écriture aride. Pour le reste, ma question existentielle subsiste : l’exigence littéraire a-t-elle un sens ? Je dirais que oui, à condition que la lecture reste un plaisir. Tout est question de dosage…
Et visiblement, Bernard, ce roman n’a pas trouvé l’équilibre entre exigence littéraire et fluidité au bénéfice du lecteur. Dommage…
Moi non plus, je ne suis pas preneuse…Ton commentaire vient appuyer ma décision…J’avais feuilleté, pour laisser tomber très vite! La lourdeur du thème, de l’écriture ont vite eu raison de mon courage….
Pas si facile à lire, déjà la construction du roman avec l’alternance commentaires et la guerre vécue de près. Sinon, c’est vrai que Janni a des choses à dire, son témoin Salgnon qui subit son engagement, donne un regard très pointu sur ces périodes, aussi sur le retour de ses soldats, qui ne sont pas de héros.
Bernard, je vois que tu décourages le lecteur, c’est dommage, car il y a de l’intérêt à cette lecture.
Quant au prix, c’est autre chose ! Comme d’habitude…
Oui, Gérard, triste dilemme, une lecture par moment presque rébarbative, mais un auteur que l’on a envie d’écouter quand même, et qui nous cultive. Chacun se forgera son opinion, mais s’armera de patience !
Non, Bernard, tu ne décourages pas le lecteur…C’est plutôt le contraire! Mais dans le cas présent, tu n’as fait que confirmer pour moi ce que je ressentais déjà…Ca ne veut pas dire que je ne le lirai pas….plus tard…
Je suis une absolue inconditionnelle des romans historique ! Votre point de vu sur ce livre à éveiller ma curiosité ! Je vais le lire et reviendrai vers vous pour vous donnez mon impression. Bise
Merci, je serai très heureux d’avoir votre avis !
Bonjour,
Je lis actuellement ce livre et je le trouve pour ma part intéressant et pas forcement si rébarbatif que cela. Il est vrai qu’au premier abord il semble plutôt lourd (c’est un pavé) et d’un sujet pas franchement emballant mais finalement, l’auteur traite de sujets difficiles de manière très instructive.
Je vais par ailleurs, bientôt rencontrer cet auteur et l’interroger à propos de son livre. Avez vous des questions vous ? Je pourrai éventuellement vous rapportez ses réponses s’il accepte d’y répondre.
Je suis en train de le lire aussi et je le trouve bien écrit et pas chiant… c’est fluide et plutôt grisant
Chloé et Etienne, content qu’il vous plaise. Je repense souvent à ce roman, lu jusqu’au bout, qui laisse des traces, mais ce fut pour moi un effort…
« Pour se transformer en art, le talent doit prendre conscience de lui-même, et de ses limites, et être aimanté d’un but qui l’oriente dans une direction indiscutable. Sinon, le talent s’agite, il bavarde. »
A l’aune des surréalistes, c’est juste très loin d’être la bonne démarche. En tous cas c’est, à mon avis, une impeccable rationalisation d’une activité qui échappe justement aux cadres et aux directions soigneusement bordurées. Sauf a posteriori et pour les critiques.