Roman

La route – Cormac McCarthy

C’est quand il n’y a plus rien, que son souffle, sa peur et son enfant, qu’on prend conscience au plus près du sens de la vie.

Tel est le postulat de Cormac McCarthy. Dans son époustouflant dernier roman, « La Route », il met en scène le petit et l’homme. Tous deux ont été jetés sur la route à la suite d’une grande catastrophe.

Les pendules s’étaient arrêtées à 1:17. Une longue saignée de lumière puis une série de chocs sourds. »

Les deux êtres tentent à présent de rejoindre le Sud. Avec en main de quoi vivre quelques jours.

Il poussaient le caddie et tous les deux, le petit et lui, ils portaient des sacs à dos. Dans les sacs à dos il y avait le strict nécessaire. Au cas où ils seraient contraints d’abandonner le caddie et de prendre la fuite. »

Le père et le fils traversent péniblement le pays dans un froid glacial, nourrissant l’espoir de retrouver au Sud la chaleur perdue.

Le décor de leurs efforts n’est que grisaille et désolation.

L’air granuleux. Ce goût qu’il avait ne vous sortait jamais de la bouche. Ils restaient debout sans bouger sous la pluie comme des animaux de ferme. Puis ils repartaient, tenant la bâche au-dessus de leurs têtes dans le morne crachin. A flanc de collines d’anciennes cultures couchées et mortes. Sur les lignes de crête les arbres dépouillés noirs et austères sous la pluie. »

Et leur vie n’est que peur, de mourir de faim, ou de se faire capturer par des êtres humains comme eux, à ceci près que pour ceux-là, le tabou du cannibalisme est tombé.

On ne mangerait jamais personne papa, dis-moi que c’est vrai ?

Non. Evidemment que non.

Quoi qu’il arrive ?

Jamais. Quoi qu’il arrive.

Parce qu’on est des gentils.

Oui.

Et qu’on porte le feu.

Et qu’on porte le feu, oui.

D’accord.

Durant cette pénible évolution, l’homme et le petit vivent des moments joyeux…

Il installa le petit dans le panier en haut du caddie. Il se mit debout sur la barre arrière comme un meneur de chiens de traineau et ils dévalaient comme ça les descentes. Le petit riait. C’était la première fois depuis longtemps qu’il le voyait rire. »

… et des atrocités.

C’est mon enfant, dit-il. Je suis en train de lui laver les cheveux pour enlever les restes de la cervelle d’un mort. C’est mon rôle. »

« La route » est un texte impressionnant.

Il est construit comme roman d’épouvante, mais pas comme un vulgaire thriller. Car il ne se contente pas de faire peur. Il véhicule aussi des questions essentielles. En ôtant la mère, en ôtant la maison, les amis, les habitudes, l’argent, l’abondance, la joie et la verdure, en créant ce dépouillement, l’auteur fait surgir les symboles et parvient à approcher au plus près de la question de la paternité, du don de la vie et du sens de ce don.

Ce roman est noir, mais pas désespéré.

Ce roman est dur et il vous touchera.

Mais je suis convaincu que, comme la mienne, votre route sera mieux éclairée après.

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La route, Cormac McCarthy, Editions de l’Olivier, 245 pages, 21 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.

20 Commentaires sur “La route – Cormac McCarthy

  1. Je te suis sur cette affaire, Bernard.
    C’est du vrai ! du costaud !! Un de mes derniers OLH (Ouvrage Littéraire Hallucinant). De ces livres dont on peut dire qu’il y a un avant et un après.

  2. Ce roman m’a déçue.. j’ai presque honte à l’écrire tant j’en ai lu ci et là des éloges, vraiment il ne m’a pas spécialement impressionnée. Juste une longue route sèche et poudreuse, sans surprise et dont on en devine le bout, à peine l’a-t-on commencée. L’intrigue m’a semblée vide et artificielle. Enfin il y manquait pour moi un souffle, un esprit qui porte ce livre. Peut-être est-ce cependant un "bon" livre, peut-être est-ce une question de sensibilité personnelle, ou de moment… Voilà je me suis sentie sur le bas-côté de cette long and winding road.

  3. Une fois de plus d’accord avec toi Bernard. Ce livre est un grand livre, dur, noir mais il est pour moi d’abord un livre d’espoir. Car le fils poursuivra la route du père, comme dans la vie tout court. C’est d’ailleurs avec Le Chant du coyote de Colum McCann un des plus grands livres que j’ai lu sur les rapports d’un père et d’un fils. Haut les coeurs !

  4. Je commencerai par "le chant du coyotte" que je viens de trouver en poche.Après "Zoli", McCann ne peut pas me décevoir… Merci à Christian de ce conseil

  5. Ce roman m’a collé à la peau. J’ai voulu le lâcher 20 fois. Trop stressant, trop noir. Je n’ai jamais pu. C’est le genre de livre dans lequel on n’entre pas impunément, sachez-le avant de le commencer. Un peu dans la même veine, je vous recommande "La Grande Nuit" d’André-Marcel Adamek, un ardennais à la plume jubilatoire.

  6. Hallucinant, terrifiant, prémonitoire? Et bien non, "pas d’accord", "ça ne va pas aller"….A chaque page, on se dit "trop c’est trop, j’arrête" mais les doigts restent collés au livre, et on va jusqu’au bout…et on termine terrassé, malgré l’infime lueur d’espoir de la dernière page….On n’en sort pas indemne….

  7. P.S.: j’aurais du mettre de côté "A Mélie sans mélo" et le lire après….pour remetrreun peu de fraîcheur dans mes lectures…

  8. Est-ce que c’est parce que je suis mère que ce livre m’a horrifiée, et que je n’avais jamais pensé à imaginer: "que ferais-je si la fin du monde arrive"? A aucun moment pendant la lecture je n’ai réussi à me dire que ce n’était qu’une fiction, et même après, ça m’a bouleversée. Direct, court, noir, et d’une finesse, d’une sensibilité, et quelle peur…
    Et pourtant, finalement, ça n’a que peu de chose de la fiction, des relations parents-enfants au bord du gouffre, dans des environnements austères, existent, tous les jours, aujourd’hui, dans le monde vivant.

  9. Pour ma part, j’ai bien apprécié ce livre, notamment au niveau du style qui est très travaillé, et de la façon dont le thème est traité (il y a en effet dans cet ouvrage une poésie de la nostalgie que j’ai trouvée très touchante et qui vous emporte comme une mélodie douce-amère). Après, un peu déçue pour ce qui est de l’histoire : rien de nouveau sous le soleil, et de la fin qui manque vraiment de vraisemblance. Mais enfin, ça reste un livre qui vaut quand même le détour.

  10. Le meilleur livre que j’aie lu depuis longtemps. Une force, une longue poésie sans jamais un mot de trop.
    Absolument bouleversant.
    Quel talent.
    Il faut lire ses autres livres, mais là il a touché son sommet.
    Comme peu d’écrivains (je pense à Philippe Roth) il devient meilleur à chaque livre.

  11. Tout comme toi Violaine c’est le style qui m’a vraiment marqué. Pour ce qui est du thème, j’ai eu longtemps cette sensation de lire avec La route ces films "morts vivants vs humains" qui doivent avancer sans cesse pour survivre. Bien sûr, nous sommes bien loin de ça, mais quand même. J’ai un pavé en route (Le dahlia noir) et bien d’autres (tout aussi gros) qui m’attendent sur la bibliothèque mais je me laisserais bien tenter une nouvelle fois par Mc Carthy (quoique francine tu nous dis qu’avec la route il atteint le sommet….j’ai un peu peur d’être déçue si je prends un de ses précédents livres….)

  12. Le seul miracle de ce livre, c’est que j’aie réussi à tenir jusqu’a la dernière page.
    Déjà, je n’accroche pas pour les road movies, mais là, personnellement, je n’ai vraiment pas accroché : rencontres succintes, paysages cendrés du debut a la fin.
    C’est cette ambiance de maladie etouffée par cette cendre qui en fait tout l’intérêt allez vous dire ?
    Merci, mais sans moi

  13. Tout comme TéH, je n’ai pu terminer ce livre dont je n’ai peut-être pas saisi la portée littéraire. C’est le premier Mac Carthy que je lisais et je me suis ennuyé. Ce qui m’a le plus dérangé, c’est cette longue déambulation par trop répétitive à mon goût, mais je le répète peut-être me suis-je simplement trompé dans mon appréciation.

  14. Je n’ai pas pu accroché… Je n’ai senti ni la peur ni la pression… Juste de l’ennui.Même la relation père/fils m’a semblé superficelle… Je n’y ai pas cru un seul instant.

  15. Quelle surprise ces commentaires!
    personnellement j’ai été complètement aspirée par le livre et l’ai lu en un dimanche!
    peut-être une question d’affinité avec le genre. Je suis une vrai fan du « post apocalyptique » tant en livre qu’en film.
    Le seul bémol: la fin.
    Mais on peut difficilement finir de façon original: soit il meurt soit il rejoint une communauté salvatrice…
    C’est ça d’avoir lu et vu trop de post apocalyptique! 🙂
    Cependant je ne crois pas que le but soit de ressentir de la peur ou de la pression mais juste de voir ce qu’on ferait en tant qu’homme dans une situation semblable. A qui peut-on faire confiance? faut-il se grouper ou rester seul? Se mettre au cannibalisme ou respecter ses principes? Se battre ou se suicider? Espérer ou abandonner?
    Ca m’a donné envie de lire plus de mccarthy en tout cas!

  16. Moi aussi, j’y pense encore souvent! Quelqu’un a-t-il vu le film qui en a été tiré? Pour moi, c’était quelque chose d’impossible à faire…Merci, Bernard de nous l’avoir fait connaître, en tous cas, à moi…

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