Ecoutez ceci. J’ai bien dit écoutez : il faut le lire à haute voix et à la vitesse d’une R4 sur une route de campagne.
Le périphérique, comme un long serpent, poussait des cris avec des lueurs tueuses, jaunes et mouillées, et les motos folles sillonnaient comme des hors-bord entre les carcasses luisantes. Les couleurs se nouaient, s’étiraient jusqu’à la rupture avec des morves rouges sous les ponts de fer et le béton incendié. Je voyais des visages blêmes se morceler en cristaux derrière les pare-brise. »
C'est signé Bernard Giraudeau. Oui, l'acteur aux yeux azur. Celui de « La Boum ».
Que de chemin parcouru entre ce long-métrage et ce court roman. Où il est question de chemin, justement. Le chemin de Marc, qui vit entre Paris et le monde, caméra en bandoulière.
Pour piller, pour ne rien perdre, pour retenir l'enfance, pour garder quelque chose du regard des hommes et de l'instant. »
Marc a cette qualité inestimable de voyager pour rencontrer. Maïmouna, par exemple, au Mali. Maïmouna joue de son mystère pour attirer les hommes. Ses mots sont tellement comptés que ceux qui la rencontrent se damneraient pour lui en arracher un. Un mot d'amour, de préférence. Après, elle s'envole et revient, parfois, pas toujours. C'est pour cela que dans son village, on l'appelle la maîtresse du vent.
C'est elle qui le calme quand il devient harmattan. C'est elle qui mélange les rires des enfants sous les acacias. »
Marc tombe aussi sur Juan, au Chili. Juan a tellement peur des femmes qu'il obtient le poste de chef de gare de Santa Negra, un endroit planté au milieu du désert, où le train ne passe qu'une fois par mois, s'il en a envie. Jusqu'au jour où le convoi trop pressé laisse Ana dans les toilettes de Juan. Pour la première fois, le chef de gare va devoir vivre avec une femme, pendant un mois, le temps que le train revienne. Ana restera cinq ans.
La plume très travaillée, chantante, presque poétique de Giraudeau produit des moments très intenses. Quelques excès de verbe aussi et des passages très difficiles. Mais comme Marc, on retrouve finalement son chemin, plein de couleurs, d'amours et d'humanité.
Au moment de la publication de cet ouvrage, l'auteur luttait avec force contre un cancer, auquel il a succombé en juillet 2010. C'est cette force qui lui a permis de nous offrir un roman qui va au fond des choses, un ouvrage qui finalement n'a rien de périphérique...
Encore un mot qu'il nous chuchote :
Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance. »
Les dames de nages, Bernard Giraudeau, Métaillé, 249 pages, 17 euros.
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Critiques, avis et analyses
Je suis justement plongée dans ce roman. Et j'ai du mal à avancer ma lecture..... parce que je ne veux pas arriver à la dernière page. J'aime de plus en plus la plume de B. Giraudeau.
Bernard, si tu ne l'as pas déjà lu, je te conseille vivement ses deux premiers ouvrages :
- Les hommes à terre - recueil de nouvelles
et
- Un marin à l'ancre.
C'est vraiment beau.
Tout ceci m'a l'air très poétique et la couverture est vraiment magnifique !
Oui bien-sûr la couverture est belle (en cadrant sur ces bouche et seins-là..même voilés), mais quand je l'ai vue en librairie je me suis demandée tout de même si elle n'était par trop racoleuse.. enfin sauf si elle colle vraiment au sujet!
Giraudeau est quelqu'un de bien, de beau, de bon. Oh cela n'a rien à voir avec son regard azur, un honnête homme quoi! J'ai adoré ce qu'il apportait au film de Bernard(quel prénom répandu! ;-) Rapp: "Une affaire de goût".Je ne savais pas qu'il était atteint d'un cancer. Votre phrase a ce sujet a éclipsé toute la lumière du reste, éteint la couleur des mots, leur musique.
Mon soutien a Bernard Giraudeau,
J’ai été très sensible aux émissions que vous avez participé sur le cancer. Je vous connaissais entant qu’acteur. Je me suis donc intéressé à vous et à votre histoire. Me voilà embarqué dans votre livre ( les dames de nage).C’est un régal de parler du corps, de l’âme et de l’esprit. J’ai frôlé la mort de près, je peut vous dire que le corps n’est rien, alors que l’âme et l’esprit, s’en vont apaisés vers la lumière qui m’attirait. Etant tétraplégique et malade, j’espère pouvoir finir de le lire. Je vous souhaite par la même occasion un bon rétablissement et une petite jonquille, amitiés, yolande
Bonjour,
J'apporte un commentaire tardif. Mais j'ai découvert votre blog seulement lundi dernier.
En réponse à Marie et à Bernard en ce qui concerne la couverture du roman "Les dames de nage" je confirme qu'il ne s'agit pas de racollage intempestif.
Bien au contraire. Cette couverture adoucit le caractère plus sordide des Dames de Nage, prostituées des ports. Je lis cette couverture comme la représentation antagoniste de deux thèmes.
En premier lieu le contraste entre les femmes prostituées qui exibent leur corps pour le vendre, et ce voile, masquant la pudeur de leurs émotions.
En second, le contraste entre le noir du voile(la mort, le dernier voyage), et le blanc de la chair(la vie, la route qui continue).
Je ne sais pas si la force de l'écriture de Bernard Giraudeau est contingente de son combat pour la vie.
Mais je sais combien j'ai apprécié ce roman.
J'ai eu l'impression de voyager dans des décors d'aquarelle. Ce doit être le passé de marin de l'auteur qui teinte ainsi ces pages.
j'aimerais pouvoir contacter Bernard Giraudeau, pourriez-vous lui communiquer mes coordonnées ?
en vous remerciant à l'avance
Louis LAVOISIER,
Ostéopathe, Acupuncteur, Bilans Energétiques
Un jour, j'ai entendu un homme parler dans une émission TV. Je l'ai entendu, je me suis arrêtée, j'ai écouté. Les propos avaient une profondeur et en même temps une "action" hors du commun, sortant de l'ordinaire. Cet homme c'était Bernard Giraudeau. J'ai eu envie de le connaître mieux et j'ai lu Les hommes à terre puis Le marin à l'ancre, j'ai littéralement plongé dans ces livres et j'en suis ressortie avec un sentiment de plénitude vraiment agréable. Je vais lire Les dames de nage, je savoure déjà ma future lecture comme s'il s'agissait d'un gâteau acheté chez le pâtissier que je m'apprête à savourer avec délectation. J'avais un à priori (acteur/écrivain)d'autant que Bernard Giraudeau acteur n'était pas ma "tasse de thé" mais après lecture, je vous conseille ces livres pleins de poésie, de rythme, d'ouverture et de rencontres. On part, on voyage, on survole...et le livre se termine... déjà... Merci à vous, Monsieur Giraudeau, d'encore donner, du fond des moments difficiles que vous traversez, de l'émotion à vos lecteurs. Si vous me lisez un jour, j'espère très sincèrement qu'un petit lutin malin va croiser votre chemin et vous remettre une petite fiole magique vous permettant de sortir de cette ornière.
on dévore les dames de nage .on le relit pour le savourer
Depuis la découverte de votre très accueillant, intelligent et sensible blog, ma liste de livres à lire s'est considérablement allongée!
J'avais beaucoup aimé le recueil de nouvelles Les hommes à terre. Alors c'est en toute confiance que je pars pour un nouveau voyage dans l'univers très sensuel de Giraudeau...
tres belle écriture et des phrases à méditer vivre c'est s'obstinerà achever un souvenir disait rené CHAR.Peut etre que je m'obstine àfabriquer des souvenirs pour que cette vie ne s'achève pas.