Par la magie des phrases brillantes qui vous enjôlent dès les premiers instants, vous arpentez les rues de Port-au-Prince, en Haïti, la ville de l’auteur. Vous voyez la vie comme elle va, la vie comme elle va vite. Vous entendez l’air.
Tu connais la chanson : Bleu, bleu, l’amour est bleu. A l’époque, toutes les voies la chantaient. De l’école au bordel. Des boutiques du bord de mer à la ceinture de chair du quartier des mendiants serrant chaque jour de plus près les vieux murs décrépis de l’ancienne cathédrale. »
Lyonel Trouillot conte le destin de l’Ecrivain, un romancier, poète et professeur qui envisage de déclarer sa flamme à une jeune participante à un colloque où il intervient. Mais très vite, il se rend compte que sa voix ne lui permettra pas cette audace, alors il écrit.
Quand on écrit, la distance est très grande entre la main tendue et la voix qui dit non. On n’entend pas la voix. On ne regarde pas l’indifférence du visage. Et si l’on pleure, on pleure tout seul. »
Dans le récit qu’il destine à l’élue, l’Ecrivain revient sur ses années de jeunesse dans la capitale haïtienne. Ces moments de bonheur partagés avec l’Etranger, l’Historien et Raoul, les autres locataires de la pension.
Nous avions pris l’habitude de placer nos chaises dans la cour, autour de la petite table en fer forgé. Avant de partir, la cuisinière nous préparait du thé qu’elle laissait sur la table. Raoul, généreux, laissait parler les autres. L’Historien remontait très loin dans le passé, l’Etranger entendait nous conter son vécu. Et c’était tous les soirs la guerre des soliloques entre hier et là-bas, la bataille à deux voix entre le carnet de voyages et les éphémérides, l’une cherchant son salut dans la mémoire du monde, l’autre se réclamant de sa géographie. »
Lyonel Trouillot conte paisiblement le destin de ces quatre amis, leurs familles, leurs amours, leurs mensonges.
Ne demandez pas à l’auteur de l’ordre, de la discipline, de l’organisation. Il n’y en a pas. Ce roman de l'universel, ce roman de l'homme dénudé avance lentement et prend le temps de mille détours, durant lesquels apparaissent des personnages attachants, des contes, des ambiances et des pépites littéraires. Je vous en donne une, mais sachez qu’il y en a cent.
Lorsque l’Historien avait dû quitter la pension pour l’hôpital, je venais juste de publier mon premier roman. Je lui en avais apporté un exemplaire dans sa chambre. Il l’avait rangé dans sa malle à côté de ses classiques préférés. Les quelques honneurs que le livre a pu récolter par la suite ne représentent rien devant ce geste. Les seules vraies réussites sont de l’ordre de l’intime. Aucun prix littéraire ne vaut la malle de l’Historien. On ne devrait écrire que " pour toi ". »
L'amour avant que j'oublie, Lyonel Trouillot, Actes Sud, 183 pages, 18 euros.
Critiques, avis et analyses
Oh j'aime beaucoup cette note, ces lignes, ces phrases , leur musique et ce qui y circule! Bravo et merci monsieur l'orpailleur!!
Tout pareil que Marie. Je note sur ma carte du Livres, le point de cette veine d'or.
J'aime beaucoup beaucoup, ces mots, si justes : Les seules vraies réussites sont de l’ordre de l’intime.
Merci Bernard.
Votre commentaire me rappelle qu'un roman d'Evelyne Trouillot (Rosalie l'infâme) traîne dans ma bibliothèque depuis des lustres et qu'il serait peut-être que je m'attaque à sa lecture.
Le commentaire que vous de l'ouvrage de Lyonel devrait m'encourager à sonder l'univers des Trouillot d'Haïti.
Bien à vous
Gangoueus
J'ai aussi adoré la lecture de ce livre. Une petite pépite de bonheur dans une rentrée littéraire que je trouve un tantinet terne par ailleurs.
J'ai presque pleuré en lisant l'histoire de l'Historien et de "l'image", cette femme qui fit tant de mal et qui n'avait jamais aimé l'amour.
Par le plus grand des hasard, j'ai récemment participé à un atelier d'écriture. Il nous a été demandé de travaillé sur l'incipit de livres. Sans le savoir, j'ai choisi celui de "L'amour avant que j'oublie". Bleu, bleu...
Une voix de plus pour arriver à la centaine !
Je viens de terminer ce petit bijou, ce diamant. Je suis sous le charme. C'est beau à fondre, à pleurer.
Merci Bernard ;-)
Trépignation.Coeur qui bat la chamade. Impatience fiévreuse. N'en peux plus d'attendre. Je sais depuis ce matin seulement que ce dernier roman de Trouillot est paru. ce roman qu'on attend depuis 2004. Et pour avoir un avant-goût des délices à venir à la lecture de cette dernière production,je me suis perdu sur la toile. Et je suis tombé sur votre texte Bernard. Je n'ai pas besoin d'être convaincu pour lire Trouillot. Il me suffit de savoir qu'une dernière production est dans les rayons pour être sûr que je me délecterai. C'est que de "Thérèse en Mille Morceaux" à la "Rue des Pas Perdus", des "Enfants des Héros" à "Bicentenaire", j'ai chcaque fois expérimenté l'extase en compagnie de l'oeuvre de Trouillot. Et votre texte Bernard n'a fait que me promettre des plaisirs. Vivement que nous soyions à vendredi.Merci à vous!
Le premier mot de mon post précédent (#6) est bien entendu trépignement et pas l'horrible néologisme que j'ai écrit...