Dans votre roman, vous racontez ce que vous appelez la "guerre de 20 ans", entre 45 et 65, avec la fin de la seconde guerre mondiale, l'Indochine et l'Algérie. Comment avez-vous pensé à ce sujet ?
- Ce sont des choses qui m’intéressent, depuis un moment d’ailleurs. Et en France, c’est un passé très présent, et paradoxalement, pas très raconté. On y pense toujours, mais sans le raconter. C’est un semi-oubli, tout le monde "sait que", sans y pouvoir comprendre quoi que ce soit. C’est une réalité à moitié enfouie, mais toujours très présente dans la France contemporaine. Donc ça m’intéressait, il y avait chez moi une curiosité et faire ce livre m’a permis de comprendre.
C’est votre premier roman, et vous obtenez le Goncourt. Quand on écrit un premier roman, pense-t-on une seconde au Goncourt ?
- Je n’y pensais même pas ! Bon bien sûr, la veille oui, ou les quelques jours qui précèdent, car il ne restait que quatre romans sur la liste. Donc là, il y avait quand même une forte probabilité que je l’aie. Mais en septembre dernier, quand le livre est sorti, je n’aurais jamais imaginé cela. Vous savez, le fait d’être publié suffisait déjà à mon bonheur. Chez Gallimard en plus, aux côtés d’Aragon ou Proust ! Ma carrière était terminée, c’était déjà bon comme ça ! Puis il y eu les bonnes critiques, le succès public, et le Goncourt ! J’ai laissé venir, en fait.
Parlons de ce succès public. Ce n’était pas évident, je trouve. C’est un livre très écrit, très travaillé, pas facile d’accès. Vous aviez ce risque en tête en l’écrivant ?
- Il faut d’abord savoir que ce roman s’est fait après 20 ans d’échec, 20 ans d’envois aux éditeurs et de refus. Je ne pensais pas être publié. Je ne l’ai donc pas écrit en pensant à une publication. Et quant à la langue, c’est la pratique que j’aime. J’ai une horreur absolue du style sec, sans un poil de graisse. Quelle horreur ! C’est anorexique ! Pour moi, le gras, c’est bon. Cette écriture blanche à la mode, ça me rase ! Je ne me suis pas posé la question de la réception, le roman est comme cela. Peut-être que, plus tard, pour de futurs romans, j’aurai le souci du lecteur, en me faisant moins plaisir, mais une langue complexe et riche, c’est un plaisir. Alors oui, certains ont pu dire que j’ai une écriture complexe, mais j’aime jouer avec tout le clavier.
Alexis Jenni, dernier roman : "L'art français de la guerre", Gallimard, 633 pages, 21 euros.
Critiques, avis et analyses
C'est ce qui s'appelle avoir de la suite dans les billets ! Merci Bernard et, en effet, il a l'air de ne pas se prendre la tête, ce monsieur...
;-)
Là où d'autres auteurs auraient pris la mouche en lisant tes réserves, lui à eu la courtoisie de t'en dire un peu plus. Rien que pour cela, on a envie de lire ce monsieur !
One point !
Vrai, In Cold Blog, je craignais vraiment qu'il prenne mal ma question (que j'avais pris soin de poser en douceur et en fin d'entretien), et sa réponse m'a donné l'image d'un type qui a de la distance et dont l'ego est à sa place. J'espère vraiment qu'il continuera à réussir.
Christian : :-)
Merci pour ce partage ! Des réponses intelligentes à des questions qui ne le sont pas moins. J'aime beaucoup ceci : "J’ai une horreur absolue du style sec, sans un poil de graisse. Quelle horreur ! C’est anorexique ! Pour moi, le gras, c’est bon." ... cela donne envie de le lire, mais j'attendrai quand même que le gras devienne digeste, ce qui ne semble pas être le cas dans ce roman. Le prochain peut-être ?
Je reconnais que l'auteur n'est pas susceptible et opiniâtre, néanmoins l'interview ne m'a toujours pas donnée envie de lire le livre qui à l'air difficile à digérer.