Fiona, la soixantaine, est magistrate. Réputée et sans histoires.
Dans la profession, on louait la juge Fiona Maye, même en son absence, pour la concision de sa prose mi-ironique mi-compatissante, et pour l’économie de moyens avec laquelle elle exposait un différend. »
Elle est spécialisée en droit de la famille. Divorces, garde d’enfants, conflit financiers entre couples déchirés, tel est son quotidien.
Les parents n’en revenaient pas de mener un combat aussi acharné contre celui ou celle qu’ils avaient aimé. »
Une vie somme toute bien rangée, une vie de travail, mais dont le pilier, le couple qu’elle forme avec Jack, vacille. A 59 ans, celui-ci lui fait part d’une liaison avec une femme plus jeune.
Il soutint son regard. « Tu sais que je t’aime.
- Mais tu as envie de quelqu’un de plus jeune.
- J’ai envie d’avoir une vie sexuelle. »
C’est précisément en cette période de doute que Fiona est saisie d’une affaire délicate. Adam Henry, un adolescent de 17 ans est atteint d’une leucémie et a besoin d’une transfusion. L’enfant, mineur, refuse l’acte médical. Les parents sont du même avis. Tous trois sont témoins de Jéhovah.
Elle n’avait pas pour tâche ou pour mission de le sauver, mais de prendre une décision raisonnable et conforme à la loi. »
La juge entend les arguments des services sociaux, ceux du père, aussi.
Avez-vous dit à Adam qu’il est libre de recevoir une transfusion s’il le souhaite, Mr Henry ? Et que vous l’aimerez toujours ?
- Je lui ai dit que je l’aimais.
- C’est tout ?
- C’est suffisant.
Mais ces éléments, qui généralement éclairent son jugement, ne lui paraissent cette fois, pas suffisants. Elle va voir l’enfant.
- Je vais vous dire pourquoi je suis là, Adam. Je veux m’assurer que vous savez ce que vous faites. Certains vous trouvent trop jeune pour prendre une telle décision et croient que vous êtes sous l’influence de vos parents et des anciens. D’autres pensent que vous êtes extrêmement intelligent et doué, qu’on doit vous laisser aller jusqu’au bout. »
L’émotion se mêle alors insidieusement à la froide rigueur que requiert l’application du droit. Parviendra-t-elle à rendre son jugement, conformément à la loi, et à l’intérêt de l’enfant ?
L’intérêt de l’enfant est un roman magistral. J’ai réfléchi longtemps avant de qualifier le style. Austère ? Non, il y a de la vie. Cru ? Non plus, Mc Ewan n’est pas racoleur. Sobre, plutôt, c’est-à-dire relativement dépouillé mais pas au point d’abolir tout sentiment au profit d’une histoire rêche. Ce qui lui donne justesse et distance.
Et il en fallait pour aborder ce thème délicat. Car derrière la question soumise au tribunal se cache celle, bien plus contemporaine, de la coexistence des religions et des valeurs, et de la compréhension profonde de l’autre. Sans avoir l’air d’y toucher, Ian Mc Ewan s’y plonge, et parvient même à apporter une réponse. L’écrivain démontre ici toute l’essence de la littérature : aborder par le prisme détaché d’une banale histoire des thèmes qui, évoqués frontalement, n’auraient suscité que rejet et polémiques. Enfin un regard apaisé sur la question des religions !
L'intérêt de l'enfant, Ian Mc Ewan, littérature anglaise, traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Gallimard, 230 pages, 18 euros. ISBN : 9782070147687. Notre note : 4/5.
Un autre livre de Ian Mc Ewan : Sur la plage de Chesil
Critiques, avis et analyses
Un bel exemple d'équilibre chez un personnage féminin entre la tête et le cœur... Un roman très intense que j'ai lu en une seule lecture!
Entièrement d'accord, et d'une manière générale, je trouve que les personnages sont très cohérents. Le livre est pensé derrière son apparente simplicité...
Coucou, Bernard, te revoilà....Et pas avec n'importe quel livre! le thème ô combien difficile est abordé sans pathos, et autre question non moins importante: doit-on/peut-on mélanger travail et privé... et c'est un beau portrait de femme dans son dur métier de juge.
Je ne vais pas sur le blog régulièrement, mais là, j'ai du sentir qu'il y avait du nouveau.....
Essaie de nous revenir un peu plus souvent.....surtout si c'est avec des livres de cette force!
Oui, c'est vrai, la question de l'étanchéité entre vie privée et professionnelle est abordée ici également. En écrivant la critique, et même sans penser au thème que tu relèves, je m'étonnais déjà de sa capacité à toucher à autant de choses aussi fondamentales dans un roman finalement assez court :-) Pour le reste, je tente de multiplier les chroniques, mais bon, vu que je n'entends pas le faire à moitié, ça prend du temps :-) Merci encore de ta fidélité.
J'ajouterai que, outre les points que tu as évoqué (la question du droit face à celle de la foi et le dilemme tant éthique que moral que cela soulève ; et le beau portrait de femme dépeint), McEwan excelle à mettre à nu la complexité des sentiments amoureux, ces instants où des vies peuvent basculer sur un rien, un mot, un geste, un malentendu... Certaines de ses scènes, a priori anodines, sont tout simplement stupéfiantes de justesse (l’infime rapprochement des époux autour d’une tasse de café matinale par exemple) !
Très juste. Cette scène m'a aussi interpellé. Tout comme celle, toute aussi subtile de l'effleurement du jeune homme par la juge...
Un autre avis intéressant, celui de Lilly qui a, elle, été gênée par la sobriété du texte."Pourtant, cette sobriété dans L'intérêt de l'enfant m'a beaucoup trop laissée en dehors de l'histoire."
http://lillyetseslivres.canalblog.c...
Etonnant, ce thème. La question avait été traitée dans un épisode de Grey's Anatomy (super référence, me direz-vous, et bien il se trouve que j'aime beaucoup cette série parce que justement, elle sait aborder des thématiques aussi délicates que celle-ci sans jamais proposer de jugement hâtif dessus - j'en ai fait un article sur mon blog, si ça en intéresse certains) et m'intrigue en tant que thème principal d'un roman. La confrontation de la justice, de la médecine et de la religion semble faire remonter tout ce qu'il y a de justement complexe et paradoxal dans la vie humaine. Si j'ai l'occasion, je lirai ce livre avec plaisir. Merci de l'avoir présenté !
Je te le recommande chaudement (et je ne fais pas ça pour tous les livres). Merci pour ton commentaire, c'est vrai que le thème est actuel, en ces temps de "judiciarisation" de bien des aspects de la vie de tous les jours. Je me permets de joindre le lien vers ton analyse, puisqu'elle est bien dans le thème, elle aussi : http://solweig.so/vive-lanatomie-de...
L'intérêt de l'enfant captive. Le livre terminé, le(s) questionnement(s) demeure(nt).
Si théoriquement tout individu peut légalement s'extraire d'une communauté, peut-il le faire "seul", sans "passeur de sens"?
Où s'arrête notre responsabilité vis-à-vis d'autrui?
Un jugement peut-il indirectement être influencé par des évènements extérieurs en fonction de la sensibilité d'un juge? Qu'en aurait-il été si Adam n'avait pas ce talent pour la poésie et la musique?
J'ai vraiment apprécié ce livre sera prochainement adapté au cinéma.
Je partage votre enthousiasme. Merci de votre commentaire. J'ajoute le lien vers votre commentaire complet. Bonne continuation.
http://mariesophiemozziconacci.com/...
C'est le premier livre que je lis sur vos conseils. J'ai apprécié la reflexion sur la responsabilité du juge dans cette histoire et la difficulté à séparer le professionnel et le personnel. Bon choix de lecture
Merci de ton retour, Zof!