Les romans où les héros parviennent à leurs fins en dépit des traîtres, c’est fréquent.
Mais des romans où le héros est un traître, c’est déjà plus rare. C’est la bonne idée de Sorj Chalandon, raconter une histoire de traître, vue par le félon…
Tyrone Meehan n’a pas voulu ce destin. Au contraire. Très jeune, il entend combattre loyalement pour l’indépendance de son pays, l’Irlande.
Nous étions des gamins. Nous étions prêts à mourir les uns pour les autres. Mourir, vraiment. Et certains d’entre nous allaient tenir promesse. »
Tyrone vit le quotidien de Belfast : attentats, maisons en feu, rafles, vengeances qui succèdent aux attaques, et attaques aux vengeances.
J’ai vu mon premier mort de guerre. Un bras qui dépassait d’une couverture. Le bras d’une femme, avec sa chemise de nuit soudée à la chair. Séanna a posé une main sur mes yeux. Je me suis dégagé.
– Laisse-le regarder, a lâché mon oncle.
Comme ses compagnons d’armes, Tyrone passera aussi plusieurs fois par la case « prison ».
De la nourriture avariée était amoncelée en tas glaireux le long du mur. Un amas d’immondices, de pourriture humide, de putréfaction. Et la merde, étalée jusqu’au plafond. »
Libéré, il commet son premier fait d’armes, qui tourne au fiasco. Dans la cohue, sous la fumée des bombes, il pense tirer sur un Anglais. Il abat un compagnon d’armes.
J’avais baissé mon pistolet-mitrailleur. Je l’ai relevé. J’ai voulu l’assurer contre ma hanche. J’ai toussé. J’avais du sang dans les yeux. J’ai pressé la détente. Je crois. J’ai entendu mes tirs. J’ai vu le feu de l’arme. Danny est tombé. J’étais derrière lui. J’ai tiré trois fois et Danny est tombé en avant. »
Personne n’a vu. Tyrone entend raconter son erreur à ses équipiers. Mais les mots ne sortent pas, des mots que, de toute façon, personne n’était prêt à entendre. Et Tyrone garde pour lui ce lourd secret. Au lieu d’être coupable, il devient un héros.
Mais les Anglais ont vu la scène. Les services secrets entendent à présent le faire chanter, sous peine de tout raconter, de le faire descendre de son piédestal, et, à coup sûr, de signer son arrêt de mort. Il est prié de devenir l’un de leurs agents.
– Vous voulez quoi ?
– Que tu nous aides.
– Jamais ! »
Et pourtant, il trahira.
Comment ? L’IRA l’apprendra-t-elle ? Tyrone payera-t-il de sa vie ce concours de circonstances ?
Vous le saurez à la lecture de ce roman bien bâti, alternant le récit des années de guerre, et celui de la paix retrouvée, où Tyrone s’interroge sur ses actes. N’attendez pas de ce roman de grandes considérations sur la vie, sur la guerre. L’auteur se concentre sur son histoire. Le récit, rien que le récit.
On regrettera la profusion de personnages introduits trop rapidement, ce qui entrave quelque peu la lecture.
Mais « Retour à Killybegs » est un grand roman, qui nous met dans la peau d’un traître, certes, mais surtout d’une personne humaine, pour nous faire comprendre cette guerre inhumaine.
Retour à Killybegs, Sorj Chalandon, Grasset, 334 pages, 20 euros.
Un écrivain que j’adore. Je n’ai pas lu celui-là, et je me tâte, car les récits de guerre m’effrayent un peu…
C’est vrai que c’est un roman dur. Bien raconté, avec du suspense, mais avec des passages violents. Heureusement, ils ne sont pas omniprésents.
Pas facile, ce roman. Les scènes de guerre sont pénibles et on est déchiré, avec ce héros sympa mais qui trahit quand même ses compagnons d’armes. On n’en sort pas indemne.
Quel livre ! Quel chemin parcouru entre mon traître et ce roman… il nous le fait aimer malgré tout et contre tout ce traître, aucune excuse, mais on l’aime tout de même… se relever d’une claque pareille, bravo, très fort, et arriver à faire qu’on le suive dans sa démarche, bravo… je suis une boulimique, je dévore les livres dès que j’aime l’écrivain et là le seul problème est… qu’il écrit au compte goutte… mais c’est vraiment avec ses tripes et avec les miennes alors je patiente… longtemps… je relis souvent ceux qui sont déjà sortis depuis des lustres, et j’attends… mais là, sincèrement, j’ai l’impression que c’est le plus fort qu’il ai pu faire… bravo, chapeau l’artiste… ce traître j’ai appris à l’aimer, sincèrement de tout mon coeur… et ce n’était pas gagné au départ vu comment je m’étais identifiée en lisant Mon traître… quel parcours ds la tête de l’écrivain pour en arriver là… j’aimerais être comme lui quand je serai grande… parce qu’en fait, le héros, c’est l’écrivain, ni plus ni moins… et j’imagine qu’il revient de très loin pour en arriver là…
Je n’ai rien à ajouter, Ségoparoyal. Ton commentaire est, comment dire… Royal !
Une de mes meilleures découvertes de l’année 2012. « Mon traître » était plaisant, mais c’est bien le point de vue de Tyrone Meehan qui est le plus poignant. C’est ce dernier qui permet de se plonger dans les affres de l’histoire d’Irlande. Très grand livre, et très belle chronique. Bravo!
Ce livre est un bijou. Et cet auteur un très grand écrivain. Je me suis permise de citer ton billet sur mon blog.
Je n’avais pas envie de le lire, mais tous ces commentaires m’ont rendue curieuse….Et bien, je ne regrette pas! C’est vraiment fort.La trahison est souvent bien complexe….
Bernard, les vacances sont finies……
Un très beau roman que je vous recommande ! De plus cela est basée sur des personnages réels