Roman

Trois femmes puissantes – Marie NDiaye

Quand vous recevez un coup, vous restez hagard un instant, avec des étoiles qui tournoient au dessus de la tête. Vous vous asseyez et tentez de reprendre contenance, de dominer votre esprit qui cherche à comprendre.

« Trois femmes puissantes », de Marie Ndiaye m’a fait ce effet-là. Un livre qui vous colle au tapis.

Son roman raconte trois femmes. Dont le point commun est de subir la violence ou les errances d’autant d’hommes et de garder le cap, malgré leurs destins déchirés.

Norah est née en France, d’un père marocain. Du jour au lendemain, celui-ci retourne dans son pays natal, enlevant Sony, le seul garçon de la famille, laissant Norah, sa sœur et sa mère désœuvrées, désargentées.

Elle avait huit ans, sa sœur neuf, et dans la chambre que partageaient les trois enfants les affaires de Sony avaient disparu – ses vêtements dans le tiroir de la commode, son sac de Lego, son ours. »

Norah grandit et devient avocate. Un jour, son père l’appelle au Maroc. Sony est en prison, pour avoir tué sa belle-mère, il a avoué.

L’avocate ne croit pas une seconde à la culpabilité de son frère et entame ce nouveau combat.

Le destin de Fanta n’a rien de plus enviable. La vie devait pourtant lui sourire. Professeur de français dans un collège de Colobane, au Sénégal, elle coule le parfait amour avec Rudy Descas, l’un de ses collègues. Celui-ci est promis à une brillante carrière. Jusqu’à ce qu’à ce qu’un de ses élèves lui rappelle le passé de son père, criminel, et que Rudy réagisse comme ceci.

Sans savoir ni comprendre ce qu’il faisait, il avait sauté à la gorge du garçon. Quelle impression bouleversante que de sentir sous ses pouces le tube annelé, tiède, moite de la trachée. »

Verdict : Rudy est viré. Il convainc son épouse de l’accompagner en France. Mais c’est le fiasco. Elle ne retrouvera jamais de travail, et lui coule des jours sombres à prendre les mesures chez les clients d’un fabricant de cuisines.

Il doute de lui, de l’amour qu’il porte à son fils et celui que sa femme, distante, lui porte.

Les jours de Khady, la troisième héroïne du roman ne seront pas plus paisibles. Veuve sans avoir d’enfants, elle est mise à la rue par ses beaux parents, au cœur de l’Afrique noire. Elle prend ensuite la route au péril de sa vie, est contrainte à la prostitution, puis tente l’impossible : l’immigration en Europe.

Trois femmes puissantes est un roman sec : trois femmes y luttent à mains nues contre le destin qui les frappe. L’écriture, elle aussi, va au combat : dépouillée, sans emphase.

On regrettera toutefois une forme de manichéisme. On admire trois femmes qui luttent, mais on voit aussi, en arrière-fond, des hommes systématiquement veules, traîtres ou dépressifs.

Leur père était ainsi, implacable, terrible. Il ignorait la compassion et les remords. Leur mère, elle scrupuleuse, hésitante désespérée s’enferrait dans les comptes qu’elle voulait exacts et positifs mais qui, vu la maigreur de ses revenus, ne pouvaient l’être. »

Mais cela n’ôte pas au roman sa qualité : un coup de poing sur la table, sans concession.

Il sonne juste.

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Trois femmes puissantes, Marie NDiaye, Gallimard, 320 pages, 19 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.

 

14 Commentaires sur “Trois femmes puissantes – Marie NDiaye

  1. C’est extrêmement tentant, mais…
    « On regrettera toutefois une forme de manichéisme. On admire trois femmes qui luttent, mais on voit aussi, en arrière-fond, des hommes systématiquement veules, traîtres ou dépressifs. »
    … est précisément ce que j’ai eu à reprocher au roman de Véronique Ovaldé « Ce que je sais de Vera Candida », que j’ai eu terminé et critiqué sur mon blog pas plus tard que la semaine dernière.
    J’ai donc très peur de ce roman-ci. Si je le lis, je ne pense pas que ce soit pour tout de suite en dépit du fait qu’il « vous colle au tapis », ce qui est en soi très appréciable !

  2. Oui, ce manichéisme est selon moi son unique défaut. On pourrait aussi trouver la deuxième histoire un peu molle, mais je trouve qu’elle est subtile, en laissant deviner la lutte de la femme à travers un récit qui ne parle pratiquement que de son mari.

  3. Le « coup » sur la tête, je l’ai plutôt eu en lisant « ce que je sais de vera Candida »…J’ai lu les 2 livres l’un après l’autre ( et ce fut un tort), Et V. Ovaldé a largement gagné…Je n’ai pas aimé le style ampoulé ( d’après mes souvenirs) de M. N’Daye, et n’ai pas été convaincue par ces femmes « battantes.

    PS: Sur l’air d’une chanson de Brel bien connue… »Bernard est revenu »….

  4. Ah, l’ami Christian ! qui est de ceux qui pardonnent mes errances (virtuelles). Je ne t’oublie pas, tu le verras bientôt ici. J’espère que tu vas bien.

  5. Une écriture compliquée, aucun humour. Le deuxième nouvelle est pénible. La première s’achève quand elle commence à intéresser. La troisième est intense.

  6. Tiens ! Est-ce bien du Maroc dont il s’agit dans le premier récit ? Je vous recommande de vérifier ce détail. A ceux qui parlent de « manichéisme », avez-vous le même sentiment quand les écrivains valorisent les hommes et font apparaître les femmes comme de simples assistantes ? Il faut éviter de jouer avec ce terme. Le regard d’une femme ne peut pas et ne doit pas être celui d’un homme. Ce serait tuer la littérature et la vie tout court.
    Je suis d’accord avec Darcourt pour dire que c’est un roman trop compliqué dans la langue. On n’a pas besoin de faire compliqué pour faire beau.

  7. Bonjour, de mon côté, je ne trouve pas que l’auteure fasse preuve de « manichéisme ». La seconde partie en est d’ailleurs un témoignage. Elle retrace le retour d’un homme à la raison, à la raison de sa vie et de ses sentiments. Ce dernier ira même à l’encontre de sa mère, qu’il jugera alors « folle », et en soustraira son fils. L’écriture peut paraître un peu lourde mais elle nous entraine, c’est l’art de la prose. J’ai été personnellement happée par cet œuvre, qui, rappelons le, a obtenu le prix Goncourt en 2009. Je le conseille vivement.

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